Aïe, je vais encore me faire enguirlander par Une Plume pour tenter de disséquer une chanson que nous aimons toutes les deux. Déjà la dernière fois, quand je vous avais parlé de A ma place, j’avais eu droit à une réaction explosive de surprise de sa part, alors là je crains le pire.
Tant pis, je prends le risque. En plus, c’est sa faute à elle, c’est elle qui a commencé en me faisant monter les larmes à la lecture de son dernier article.
La chanson dont je veux vous parler c’est Des ricochets du Collectif Paris-Africa. Pour moi, cette chanson est juste une perle. Ni plus, ni moins. Le genre de chanson que j’ai envie d’écouter et de ré-écouter, que j’ai envie de fredonner et que j’aurais envie d’écrire.
Mais qu’est-ce qui fait que cette chanson me fait cet effet là ?
Relisons d’abord le texte ensemble :
J’aurais pu être un môme,
Un bout de chou qui sourit,
Et se fout d’être mouillé,
Comme de la dernière pluie.
Mais ici il n’y a pas d’eau,
Qu’un silence ordinaire,
Qui ne cesse de peser
Sur nous comme un enfer
Moi ce que je voulais c’est jouer
Mais pas avec ma vie
Je vous regarde verser
Des larmes qu’on n’a plus ici
Moi ce que je voudrais c’est danser
Pour faire tomber la pluie
Je vous regarde creuser
La terre mais pas des puits
Je ne veux pas l’aumône,
Je ne veux pas déranger,
Mais juste un peu d’eau,
Pour faire des ricochets, faire des ricochets.
J’aurais pu être un môme,
(Au destin magnifique)
Comme un autre qui grandit,
(Loin des dunes d’Afrique)
Sans avoir à scruter
(Sans avoir à subir)
Un ciel qui vous oublie
(Un ciel sans avenir)
Je ne demande pas un ruisseau
Encore moins une rivière
Je veux seulement jeter,
Des bouteilles à la mer
Moi ce que je voulais c’est jouer
Mais pas avec ma vie
Je vous regarde verser
Des larmes qu’on n’a plus ici
Moi ce que je voudrais c’est danser
Pour faire tomber la pluie
Je vous regarde creuser
La terre mais pas des puits
Je ne veux pas l’aumône,
Je ne veux pas déranger,
Mais juste un peu d’eau,
Pour faire des ricochets, faire des ricochets.
L’analyse des champs lexicaux nous donne le résultat suivant : la chanson parle principalement d’eau (mouillé, pluie, eau, puits, larmes, verser, ruisseau, rivière, mer…). Ok, pas besoin de faire une analyse très poussée pour s’en rendre compte. Mais elle évoque aussi l’enfance et le jeu (« môme », « bout de chou », « sourit », « jouer », « danser », « ricochet », …), la nature (« terre », « ciel », « dunes d’Afrique », « ruisseau », « rivière », …), la désolation (« silence », « peser sur nous », « enfer », …) et l’impuissance (« J’aurais pu », « Ici il n’y a pas », « subir », « Ce que je voulais », « Ce que je voudrais », « Je vous regarde »).
Ainsi cette chanson nous dit que si les enfants d’Afrique dont il est question ont besoin de notre aide, c’est parce qu’ils n’ont simplement pas eu la même chance que les enfants nés ici en France, qui jouent dans les flaques et qui ne manquent de rien. Que dans ces pays d’Afrique où la famine sévit, le manque d’eau est simplement un fait, une réalité contre laquelle on ne peut même pas se rebeller.
A la seconde lecture, on remarque que la chanson évoque aussi un thème d’actualité qui dérange : la mendicité (« l’aumône », « je ne demande pas », « je vous regarde », « mais juste un peu d’eau » …). Le sens profond de la chanson est, je crois, de nous faire prendre conscience de la nécessité de la solidarité envers ces pays. Pourquoi on nous sollicite ? Pas pour nous faire culpabiliser (« Je ne veux pas l’aumône »), pas pour nous embêter (« Je ne veux pas déranger »), mais parce qu’il n’y a simplement pas d’autres solutions.
La phrase « Je ne veux pas déranger » me touche particulièrement. C’est une situation très difficile que de devoir solliciter l’aide extérieure pour survivre. Mais on en est là : sans aide de la part des pays riches, ces enfants ne deviendront jamais adultes. J’apprécie dans cette chanson qu’elle n’utilise pas la culpabilisation. Ce n’est pas de la faute des pays riches s’il n’y a pas d’eau dans ces pays du sud, mais ça devient la responsabilité de tous si l’avenir de ces enfants est menacé par le manque d’eau.
Voila mon interprétation du texte. N’hésitez pas à la compléter par votre propre compréhension.
D’un point de vue de l’harmonie, j’ai presque été un peu déçue en étudiant la grille d’accords de la chanson : elle est toute simple. Quatre accords, tous issus de la tonalité de Ré mineur. Pas de modulation, pas d’emprunt dans une autre tonalité. Et puis finalement, cette simplicité sert l’efficacité de la chanson. Pas besoin de plus :
Couplet
Dm | Dm | C | C
Dm | Dm | C | C
Refrain
Dm | Fmaj7 | C | Gm
Dm | Fmaj7 | C | Gm
Alors, qu’est-ce qui nous plait tant dans la musique de cette chanson ? En vrac :
- Le rythme : C’est une chanson qui bouge. Le tempo n’est pas très rapide, mais l’accentuation à contre-temps lui donne un côté dansant, comme dans le reggae par exemple. Nous reparlerons de cette accentuation à contre temps, mais pour vous l’expliquer en quelques mots, le premier temps, qui est celui que l’on appelle temps fort (accentué dans de nombreux styles de musique) est ici en retrait, au profit du deuxième temps (Idem pour les temps trois et quatre). Ou si vous préférez, l’accord de guitare est joué plus fort sur le deuxième temps que sur le premier. Essayez de compter 1, 2, 3, 4 sur le rythme du refrain, vous verrez que ça donne 1 – 2 – 3 – 4 !
- Le mélange des voix : Une soixantaine d’artistes ont été réunis pour ce titre et les voix ont été arrangées de très belle manière, pour se compléter, pour contraster les unes avec les autres tout en conservant une impression globale très harmonieuse. Tout le monde y trouve sa place, peu importe son origine.
- Les arrangements : au delà des percus, guitares, et autres instruments, ce sont principalement les arrangements des voix qui donnent du charme à la chanson. Tendez l’oreille, il y en a partout : des choeurs, des contre-chants, des questions-réponses, sans oublier, peut-être ma préférée, la voix masculine rap scandant « Jeu-veu-pa -l’au-mo-neu-jeu-veu-pa-dé-ran-ger »!
- Une mélodie accrocheuse : oui, car plus que la trame harmonique d’une chanson, c’est la ligne mélodique du chant qui marque les esprits et qui entête (Dites-moi qu’après avoir regardé le clip il y a quelques minutes, vous n’êtes pas en train de fredonner « Je veux pas l’aumône – Non non non ! »…)
- L’optimisme : Malgré la gravité du texte, cette chanson se veut résolument optimiste. Et c’est principalement l’interprétation qui apporte la bonne humeur nécessaire pour adoucir, dédramatiser le thème. C’est d’ailleurs un élément qui parle magnifiquement de l’Afrique car le recours à l’humour et à l’optimisme dans une situation très sombre est une richesse propre aux populations d’origine africaine. On retrouve cet aspect dans les vieux blues noir-américains par exemple. On en reparlera…
- Le clip : parlons-en du clip. Je le trouve superbe. Il sait à la fois mettre en valeur les artistes qui ont participé à l’enregistrement et nous rappeler, par de très belles images, de quoi parle la chanson. Alors, même si c’est un peu hors-sujet, je voulais le dire, na !
Je crois que j’ai fait le tour. Avant de vous laisser seuls avec cet air entêtant, je vous donne encore quelques infos sur la chanson :
Auteurs : Lionel Florence et Patrice Guirao
Compositeur : Frédéric Château
Producteur : Paris Africa
Sortie en Octobre 2011
Interprètes : Alizée, Alpha Blondy, Amaury Vassili, Amel Bent, Anggun, Arielle Dombasle, Bénabar, Bob Sinclar, Chico & Les Gypsies, Chimène Badi, Christophe Willem, Claudia Tagbo, Colonel Reyel, Dave, David Hallyday, Didier Wampas, Elisa Tovati, Fatals Picards, Faudel, Florent Mothe, Gary Fico, Gérard Lenorman, Grégoire, Hélène Ségara, Inna Modja, Jane Birkin, Jenifer, BB Brunes, Jérôme Commandeur, Jérôme Van Den Hole, John Mamann, Joyce Jonathan, Judith, Julie Zenatti, Kenza Farah, Lââm, Liane Foly, M Pokora, Magic System, Manu Katché, Maurane, Mélissa Nkonda, Merwan Rim, Mickaël Miro, Mikelangelo Loconte, Mimie Mathy, Moïse N’Tumba, Mokobe, Natasha St Pier, Nicolas Peyrac, Nolwenn Leroy, Nyco Lilliu, Olivier de Benoist, Ophélie Winter, Passi, Patrick Fiori, Pep’s, Philippe Lavil, Quentin Mosimann, Salvatore Adamo, Shy’m, Sofia Essaïdi, Soprano, Tal, Tiken Jah Fakoly, Tina Arena, VV Brown, Ycare.