amour amitie couleurs

En voir de toutes les couleurs

À la radio, une femme affirme « L’amitié c’est l’amour sans sexe ». Je suis aussitôt interpellée par une phrase si réductrice.

Les sentiments sont tellement plus nuancés que ça.

Au cours de ma vie, j’ai couché avec des amis et j’ai ressenti des passions purement platoniques.

J’étais amoureuse dès le CP. J’avais 5 ans. Il s’appelait Rodolphe. Ce n’était pas de l’amitié. Il ne l’a jamais su. Bien sûr, on y chercherait en vain le sexe ! J’avais écris son prénom en gros sur mon bras et je sens encore le frottement désagréable de mes ongles et du savon mêlés qui essayent d’effacer le feutre pour ne pas que mes parents le voient…

A 15 ans, un jeune cavalier fût gentil avec moi. J’ai découvert pour la première fois que certaines phrases étaient douces à entendre et que, peut-être, je n’étais pas ce vilain petit canard que je voyais se refléter dans les rejets de mes pairs. Il est devenu mon « tout », sans qu’il y ait la moindre relation entre nous et en n’ayant eu que peu d’interactions.
Déracinée à 5000km et sans contact, c’est en peuplant mon monde intérieur de sa présence imaginaire que j’ai survécu dans ma solitude première. Ca m’a pris 17 ans pour un jour le retrouver, il a alors changé ma vie en une conversation d’une heure avant de redevenir un fantôme.

C’est parfois encore son regard que je rencontre dans d’autres yeux.

Je tombe follement amoureuse à l’aube de mes 16 ans, de toute ma nature entière et excessive. Mais en trois ans de relation passionnelle, bizarre et hachée, aucun des mots habituels de l’amour ne franchit nos lèvres : je suis terrifiée quand il s’agit de parler et encore plus d’avouer ce que je ressens. Seuls nos corps communiquent.

A 18 ans, je vis une histoire de trois mois, charnelle, d’une intensité sexuelle rare, elle aussi sans paroles. Il y existe une forme d’amour, bien que je sois toujours hantée par ma passion pour mon grand silencieux.

Je vis deux histoires « longues » de 6/7 ans. Je me marie, j’ai des enfants. J’ai aimé ces hommes. Pourtant si on m’avait demandé quelles ont été mes « grandes histoires », ce sont deux autres prénoms qui me seraient venus, avec qui je n’ai jamais partagé le ronron de la vie commune.

J’ai couché avec un quasi inconnu, pas d’amitié, pas d’amour ici, la simple attirance des corps.

J’ai partagé le lit d’un ami, il y a eu sexe, comme elle dit, mais pas « d’amour », juste deux personnes qui à un moment partagent une intimité choisie, puis reprennent le cours habituel de leur relation.

La chance m’a été donnée d’avoir depuis plus de 11 ans rencontré celui qui est à la fois une « grande histoire » et une relation stable sous un même toit. J’ai depuis bien longtemps cessé de croire au mythe de l’homme de ma vie, mais s’il existait ce serait aujourd’hui la relation qui s’en rapproche le plus.

Pour autant, il y a quelques années, un inconnu m’a touchée au premier regard et est devenu pendant plusieurs mois un compagnon de déjeuners et de discussions profondes. Une envie de se connaître, puis chacun a repris son chemin. Aucun désir sexuel à cet endroit, et pourtant ce n’était pas « de l’amitié ». Alors quoi ? Qu’importent les nommages, qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.

Il y a celui que je côtoie tous les jours et que je regarde un matin différemment sans raison et qui, à peine quelques semaines après retrouve sa place de collègue dans ma tête, sans que rien n’ait changé, sans qu’il n’ait rien perçu.

Il y a cette femme qui éveille une soudaine attirance, aussi fugace et furtive que vive, alors que je suis ce qu’on appelle « hétéro », et que l’idée de toucher sexuellement une femme me rebute.

Ce simple échantillonnage et les histoires que j’ai tues sont autant d’expériences qui font monter mon rejet de ce jugement péremptoire « L’amitié c’est l’amour sans sexe » et l’envie de savoir dessiner toute la palette des formes que prennent les liens entre deux êtres humains.

Mon corps animal à ses émotions, ses pulsions, ses jeux. J’apprends à les connaître. À ne pas confondre l’amitié, la tendresse, le désir sexuel, l’amour, la compassion, l’attirance, l’affection, la passion et d’autres ressentis, d’autres besoins qui à l’occasion s’éveillent. Ils ne sont pas toujours faciles à distinguer, à comprendre, à assumer, à gérer et sont encore plus difficiles à mettre en mots.

J’ai retenu la belle leçon que m’a apprise le père de mes enfants, un jour où je culpabilisais d’avoir éprouvé une pointe de jalousie :

« Tu ne peux pas contrôler ce que tu ressens, mais tu peux agir sur ce que tu en fais. »

J’aime chacun de ces ressentis qui, quand ils adviennent, me rappellent que je suis en vie. J’ai fais miens depuis l’époque adolescente ces mots d’Alfred de Musset :

On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois mais j’ai aimé. C’est moi qui est vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

Il y a une amoureuse en moi, amoureuse de la vie, qui aime à sentir son cœur battre, pas uniquement dans la relation passionnelle, mais aussi au reflet du soleil sur la mer, à la puissance d’un cheval au galop, au rire d’un enfant, à la chaleur partagée dans une discussion d’amis.

Les émotions, ressentis et sentiments sont trop riches et nuancés pour les restreindre à une analyse binaire et à un monde en noir et blanc.

Prenez votre palette de couleurs et peignez des amours qui vous ressemblent.

Quant à les écrire ? Les mots sont finalement bien réducteurs.

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