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Te connaître

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Ce texte écrit en novembre 2005, trouve sa place ici pour deux raisons : il s’agit d’un exercice d’écriture (libre, aucune contrainte appliquée à l’écriture, mais un exercice quand même, puisque, comme nous le verrons dans un futur article, l’important c’est de pratiquer !) et il parle du désir d’écrire.

Au passage il me permet de réaliser que sous peu il sera utile de venir vous décrire les règles de typographie des dialogues. En effet, un écrivain qui se respecte, et qui veut être publié, a certaines règles à suivre pour que le lecteur s’y retrouve dans les dialogues !

Te connaître

— Tu n’entrouvres jamais ta carapace ?

Interloqué il interrompt son geste, reste un instant suspendu, le bras en l’air, son reflet dans la vitre, le soleil qui ruisselle sur la mer… Il se retourne doucement vers la jeune fille. Elle ne s’est pas interrompue. D’un geste énergique, ou nerveux, elle finit d’astiquer la table, reprend inutilement son geste, le regard fixé devant elle.

— Je veux dire… Est-ce que… ? Y’a-t-il quelqu’un à qui tu ne joues pas un de tes personnages ?

Il s’est tourné vers elle, il a donc bien entendu. Est-il obligé de rester ainsi stoïque en silence ? Oh ! Ça cadre bien avec le portrait qu’elle en a mais… Pourquoi a-t-elle posé sa fichue question ?! Pourquoi faut-il toujours qu’elle meuble les silences ? Ne peut-elle supporter d’être une petite heure en compagnie sans une parole ? Pourquoi est-elle si mal à l’aise ? Quelle nécessité de croire qu’il faut parler, qu’il doit y avoir échange ? Après tout, depuis le temps qu’elle côtoie des groupes masculins, elle a bien constaté leur capacité étrange à être simplement ensemble sans nécessiter le moindre mot. Oui mais voilà… Pour elle le verbe est la vie, le mot est l’amour, elle sait si peu échanger par le regard, les actes, le toucher. Toute son existence vit par les mots.

— Que veux-tu dire ?

Laconique… Non ! Masculin… La question n’est donc pas claire ? Qu’avait-elle besoin non seulement de meubler, mais de le faire par autre chose que des banalités ?

Tiens, ça ne ferait pas trois fois que je repasse au même endroit ?

— Rien…

— Enfin si !

— Enfin…

— Oh et puis zut ! Je veux dire que tu me donnes toujours l’impression de jouer un rôle, d’être en représentation, de montrer une facette, d’être caché derrière une carapace, d’être… Euh… je dis ça… Bien sûr on ne se connaît pas, enfin, si peu ! C’est sûr étant la femme d’un de tes meilleurs potes on a l’occasion de se voir, mais on n’a jamais parlé alors je ne sais rien de toi, je ne te connais pas. Mais j’ai eu cette impression dès le départ et…

Elle se perd dans le flot de ses paroles, les pensées se bousculent et à son accoutumée elle les laisse sortir, trébucher, se superposer. Il esquisse un sourire qu’elle ne voit pas. Elle l’amuse, l’attendrit même, avec ses tonalités hésitantes, son acharnement à parler tout en continuant sa tâche comme pour se raccrocher à quelque chose qui lui évite les regards. Elle prétend chercher le contact, elle parle, mais elle fuit ses yeux.

— … c’est vrai que j’ai cru reconnaître quelque chose en toi. Quelque chose de semblable à une partie de moi, enfin je veux dire, moi aussi j’ai eu mes rôles, ma carapace, si ancrée que c’est un travail de titan de chercher à sortir de la prison qu’on s’est soi-même forgée. Et je me demandais si… enfin si du moins tu avais quelqu’un avec qui tu acceptes d’en sortir, qui…

Elle s’interrompt, jette un rapide coup d’œil dans sa direction. Il se tait, il la regarde. Elle ne sait pas ce qu’il pense, comment interpréter, et ce silence… Le silence est désapprobation ! Il entame une phrase :

— Je ne crois pas que…

— Oh je sais !, l’interrompt-elle inconsciemment. Je m’avance beaucoup, enfin je… c’est juste une impression. Je sais, c’est idiot, je ne sais rien de toi. Alors je dis sans doute n’importe quoi mais c’est pareil tu sais, ta femme, ton… enfin, ton ex. Je n’ai parlé qu’une seule fois avec elle, une longue fois, mais si peu au fond. Et nous avions tant en commun m’a-t-il semblé, on était deux déracinées, on n’avait pas de chez nous. On se comprenait, on parlait la même langue, elle… Je la comprends et en même temps on est si différentes car je n’aurais pas fait son choix, je ne serai pas partie. J’ai appris, tard, mais j’ai finis par comprendre, ce n’est pas où je vis qui compte mais avec qui. Et… Enfin, ça nous différencie. Bref je voulais juste dire que j’ai cru reconnaître des choses en toi que je connais et… Oh bien sûr là encore c’est si différent ! Toi tu as choisi d’essayer de vivre de ta création, tu sais ce qu’elle vaut, moi elle me manque, mais c’est que je ne crois pas qu’elle le vaille, qui cela pourrait-il intéresser ? Alors je suis devenue quelqu’un de « normal », j’ai choisi de ne pas le cultiver et je suis devenue l’écrivain à la petite semaine, le dilettante qui jette deux mots sur le papier en croyant que ça pourrait être de l’art mais qui au fond a tué dans l’œuf la moindre étincelle de talent.  C’est envahissant non ? Tu dis que tu ne peux faire  autrement, c’est aussi vital que de respirer, moi j’ai essayé, et on y laisse des plumes.

Un sourire ironique plisse ses yeux noirs. Son regard est parti déjà bien loin, elle n’a même plus conscience de son bras ballant, de ce chiffon dans sa main, de ce quotidien abrutissant.

— On y laisse sa plume mais on peut, enfin… ça fini par ne plus tant dévorer, même si on est loin de ce rêve d’enfant,  et de tous ces mots que l’on a porté sans jamais les mettre au monde. Tu ne peux faire autrement, mais c’est que toi tu l’as ce don, comment le refuser ? A quel prix ?

Elle s’interrompt. Le fil décousu de ses pensées a fini de se dérouler et au bout de la pelote il n’y a rien. Rien. Il est toujours silencieux comme cherchant à faire le tri, à démêler ce flot sans queue ni tête qui a inondé le silence. Que cherche-t-elle exactement ?

Elle se mordille la lèvre, cherche des mots, fuit son regard. Il y a ainsi des gens dans le monde qu’elle n’arrivera jamais à affronter. Et tant d’autres qu’elle effraye. Elle déteste cela, se sentir dans ses petits souliers comme une fillette timide. Et en même temps c’est tout elle, c’est justement cette fillette la vraie, celle qui n’est pas un rôle, pas une protection, un énième masque. Alors dans le fond elle aime à la retrouver, voir qu’elle est toujours là.

— Tu es bizarre, petite fille.

Elle le regarde étonnée, drôle d’écho à ses pensées. A-t-elle rêvé ces mots ? Elle balbutie :

— Je… Je voulais juste savoir si tu te confiais parfois à quelqu’un. Ou si tu te retranchais dans ta solitude. Si tu étais toujours ce mur impénétrable.

Enfin son regard soutient le sien. Un silence s’installe qu’elle ne souhaite plus interrompre. Leurs yeux se fixent alors que l’atmosphère se tend de non-dits. Maintenant c’est lui qui ressent une certaine gêne. Il sourit et lance de sa voix moqueuse comme une plaisanterie :

— Tu ne serais pas en train de me draguer là ?

Il voulait désamorcer. Cette phrase, une phrase anodine sous le couvert de la bonne blague entre deux complices, que l’on n’est jamais à ce moment-là. Celle qui dans toutes les circonstances n’est que la mise en place d’une barrière. Elle ne précise pas si l’on veut que la barrière soit franchie ou pas. Simplement elle la matérialise et c’est à l’autre de savoir si il se risque à la passer ou pas, en admettant qu’il le souhaite. Et c’est celui qui la reçoit qui la prétend anodine, ou non.

Elle a toujours été franche, souvent même à l’excès. Alors encore une fois elle ne mesure pas la portée de ce qu’elle pense, elle le dit. Elle a toujours avancé dans la vie en ne considérant les conséquences qu’à l’instant où elle s’y trouvait confrontée. Alors une fois de plus, une fois de moins…

— Oh non ! Jamais de la vie ! Tu sais, au mieux, tu me fascinerais, mais je ne pourrai jamais t’aimer, je veux dire, pas dans ce sens-là, enfin tu vois, je ne pourrai pas vivre de quotidien avec toi. La fascination je sais ce que ça vaut, j’ai déjà donné. Je disais tout ça… pour parler, par curiosité, pour te connaître, t’apprendre un peu.

Elle sourit, les yeux à nouveau perdus dans le vague mais plus brillants.

— Et puis surtout, j’ai déjà un amour. Je sais où est mon bonheur et ce dont j’ai besoin. Je ne le mettrai en péril pour rien au monde.

— Bonne réponse, je n’accepterai pas que tu le blesses.

Ils échangent un regard, un sourire, et chacun retourne à sa tâche. Sans doute sont-ils très différents, peut-être se ressemblent-ils. En tous cas une chose les rapproche: ils aiment la même personne.

5 réflexions sur “Te connaître”

  1. Ping : Le tiret cadratin - Une Plume & Une Voix

  2. La plupart des hommes rêvent que les femmes lèvent le voile………… sauf sans doute quelques purs ecclésiastiques et ceux plus portés sur le genre masculin………… 🙂
    Pour ce qui est de « la loi d’attraction », il y aurait effectivement beaucoup à dire sur ce sujet qui dépasse, je crois, le simple rapport homme/femme. Ce sera sans doute l’objet d’un autre article (ou pas).
    Pour ma part, je crois quand même, comme toi, à l’amitié homme/femme mais, comme toi également, sous certaines conditions. Je sais également que l’ego (le mental) se veut présent dans la quasi totalité de nos pensées qui engendrent ensuite nos actes et que seule une bonne connaissance de soi (et donc de l’autre) peut être la base solide de rapports sans ambiguïté. Ce postulat est tout de même, il me semble, assez difficile à mettre en place et c’est ainsi que bon nombres d’humains se retrouvent dans des situations délicates qu’ils n’avaient pas forcément prévues au départ. Mais comme il ne faut jamais généraliser et que chaque histoire humaine étant à la fois individuelle et collective, il est évident que certaines personnes gèrent parfaitement bien ces amitiés particulières entre sexe différents. Certaines femmes sont également assez « yang » pour générer chez leurs amis hommes des énergies du même ordre sans que cela pose problème.Par ailleurs, l’inverse est également vérifiable……. Tout cela est à la fois complexe et tellement évident pour qui sait y voir que bien malin sera celui (ou celle) qui pourra prévoir l’évolution des choses dans le temps. Et c’est très bien ainsi !
    Pour ce qui est de l’évolution de ce texte, laissons faire l’inspiration qui, allez savoir pourquoi, n’est que rarement en manque de manifestation chez celles et ceux qui cohabitent avec elle. 😉

  3. Alors, avec un peu de retard, mes réponses: il n’y a pas de suite, ni écrite, ni réelle, la scène n’ayant pas eu lieu dans la vraie vie même si les protagonistes existent. L’écrire? Pourquoi pas… A voir, il y faudra aussi le début, et que je décide ce que je veux faire d’eux! 🙂 Ont-ils une histoire d’amour en commun? Comment la loi de l’attraction fonctionne sur eux? Je les vois déjà…

    Quand au rapport homme/femme, à l’existence de l’amitié entre eux, c’est un sujet bien vaste! Et bien sympathique pour pouvoir écrire encore de nombreuses histoires! Pour ma part je crois en l’amitié homme/femme, sous certaines conditions. Sans doute parce que la majorité de mes amitiés sont avec des hommes, sans doute parce que la question s’est posée plus d’une fois et que j’ai pu m’interroger sur le sujet.

    Qui sait un jour peut-être viendrai-je publier ici un texte levant un peu plus le voile sur ce thème!

  4. Moi aussi j’aimerais connaître la suite de cette histoire! Est-ce qu’il y en a une ? Sinon, il faut l’écrire 😀
    J’aime l’alternance entre les dialogues et les descriptions qui te permet de laisser apparaître le caractère des personnages et l’ambivalence de leur relation. En peu de lignes, on est déjà attachés à eux, on a envie d’en savoir plus sur eux. Peut-être parce qu’on s’identifie déjà en partie à eux, comparant notre propre complexité à la leur, notre vécu à la situation qui se joue devant nous. Merci pour cette lecture!

  5. Ce texte est vraiment très intéressant. Il peut d’ailleurs,selon moi, se lire en parallèle avec l’article de Marie sur la chanson de Zazie car il parle également (en plus du désir d’écrire) des rapports homme/femme même si ici, il ne s’agit pas d’un couple.
    Il me semble qu’il soulève également l’éventuelle difficulté d’un rapport purement amical entre un homme et une femme. Certains couples n’ont pas résisté à cela et je pourrais citer quelques exemples qui pourraient démontrer que ce genre d’amitié est quasiment impossible…… Néanmoins, il ne faut jamais généraliser et chaque situation est particulière même si elle obéit, la plupart du temps, à des archétypes inconscients qui mettent en place des attitudes qui, malgré l’évolution humaine, se répètent inlassablement au fil des âges.
    Nous sommes des êtres de communication et de dialogue. A part de rares exceptions, nous avons plutôt tendance à trop en dire plutôt qu’à mesurer nos propos ou bien à nous taire lorsqu’on devrait réellement s’exprimer…. Cela dit, au-delà des mots, nous faisons passer des énergies et des émotions que nous projetons sur les autres.Comme tout cela nous est, pour la plupart d’entre nous, complètement inconscient, il en résulte souvent des successions de quiproquos ou une certaine incompréhension de part et d’autre. Lorsqu’on rajoute les différences fondamentales entre l’esprit/homme et l’esprit/femme il n’est pas étonnant que cela finisse parfois en un véritable dialogue de sourds ! 🙂
    Une véritable amitié homme/femme me semble tout de même assez difficile à mettre en place. Nous sommes tellement formatés et tellement stéréotypés que c’est vraiment un gros challenge que de ne pas, à un moment ou un autre, se poser des questions sur les motivations profondes de cette amitié. D’autant plus que les « éléments extérieurs » ne voient pas forcément cela d’un œil bienveillant (parfois à juste raison puisque les autres voient souvent avant nous ce qui nous échappe le plus).
    Tout cela pour dire que j’aimerais bien connaître la suite de cette histoire. En extrapolant, il me semble que ces deux-là, même s’ils s’en défendent, ont une histoire d’amour en commun et qu’ils se refusent encore à se l’avouer. Même s’ils savent intrinsèquement que cela ne pourrait fonctionner, ils ne peuvent repousser complètement cette évidence qui fait qu’ils s’attirent l’un l’autre, fidèles à cette fameuse « loi d’attraction » que peu d’entre nous comprennent encore……..
    Mais ce sont sans doute mes propres projections sur cette histoire qui me font avancer une suite aussi folle…… 🙂

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