Rythmer un texte (3ème partie)

Il y a quelques temps, je vous avais donné des astuces pour rythmer un texte de chanson. Je précise « de chanson » car l’exercice est très différent pour un poème ou pour un texte en prose et ça, c’est loin d’être ma spécialité. Je voudrais y revenir aujourd’hui, car pour qu’une chanson « sonne » (sonne sonne !), il faut que le texte « sonne » aussi. Et si la sonorité est en partie due aux mots utilisés, le rythme du texte joue lui aussi un rôle fondamental.

Il y a tout d’abord, et comme nous l’avions déjà vu, la notion de temps accentués. Les syllabes portées par un temps fort sont accentuées, le principal temps fort d’une mesure étant le premier. La syllabe émise sur le premier temps de la mesure est donc accentuée. Il peut s’agit de la première syllabe du premier mot de la phrase (« Belle… c’est un mot qu’on dirait inventé pour elle ») …ou pas ! Parfois le texte commence avant le premier temps d’une mesure. (« J’ai du succès dans mes affaires »). Vous remarquerez que ce sont souvent des syllabes des mots importants qui tombent sur les temps forts (« Je voue mes nuits à l’assasymphonie, au requiem« ). C’est logique, non ? Puisque ce sont les mots qui seront accentués, autant que ce soit les mots qui ont du sens !

Voila donc encore une astuce pour rythmer vos textes de chansons : choisissez bien les mots à accentuer, en particulier les premiers mots des strophes. Cela peut changer la sonorité de votre texte. Faisons un essai, sans musique, juste en prononçant un texte en rythme :

  • Je n’ai aucun regret et pourtant ils me rongent
  • Je n’ai vraiment rien fait pour que tu hantes mes songes

J’aurais tendance à vouloir le rythmer de cette manière :

  • Je n’ai aucun regret et pourtant ils me rongent
  • Je n’ai vraiment rien fait pour que tu hantes mes songes

Mais on pourrait très bien imaginer :

  • Je n’ai aucun regret et pourtant ils me rongent
  • Je n’ai vraiment rien fait pour que tu hantes mes songes

Entendez-vous la différence ? Qu’est ce qui sonne le mieux à vos oreilles ? Sentez-vous également la différence d’impact sur la perception du sens de la phrase ?

Essayez avec vos propres phrases. Amusez vous à les accentuer de différentes manières. Vous remarquerez également qu’au delà du sens, certains sons sont plus jolis à accentuer que d’autres. Si dans l’exemple précédent, j’accentue « aucun« et « rongent« , ce n’est pas très joli. A mon goût, en tout cas, pas joli. En faisant ces essais vous verrez que vous serez parfois amené, parce que vous aurez décalé l’accent d’un mot à un autre, à vouloir rajouter ou supprimer des syllabes. Là encore, c’est du bon sens. Si je commence ma phrase avant le premier temps, il me reste moins de mots que si j’avais commencé la même phrase sur le premier temps.

Voila l’une des raisons qui fait que dans l’écriture de chansons, certains vers ont plus de syllabes que d’autres. Ce n’est pas la seule. Dans la chanson « C’est dit » de Calogéro, on trouve, en début de 2 couplets différents, les vers suivants :

  • Le temps des temtes arrive avant qu’on l’ait prédit (13 pieds)
  • Amours impossibles, faites, ironie (11 pieds)
  • (…)
  • Mais quand tout s’allume, quand tout enfin nous sourit (13 pieds)
  • Gloire, fête, symphonie, bravo, bijoux, frénésie (14 pieds)
  • (…)

On voit bien que sur le deuxième couplet cité, la deuxième phrase est beaucoup plus longue que sur le premier couplet en termes de syllabes prononcées. Pourtant, dans les deux cas, le texte est chanté dans le même laps de temps. Et dans les deux cas, le texte colle bien. Vous me direz que c’est simple : le deuxième texte est simplement chanté plus rapidement que le premier. C’est vrai, mais cela ne suffit pas pour que la sonorité soit jolie. Dans cet exemple, vous noterez que les deux vers dont nous parlons sont symétriques (ou presque). D’une part, la césure entre les deux parties de la phrase se fait au milieu. D’autre part, les mots sont articulés de la même manière de chaque côté de la césure :

  • Amours impossibles, défaites, ironie (11 pieds)
    • Mot de 2 syllabes + mots de 4 syllabes /// Mot de 2 syllabes + mots de 3 syllabes
  • Gloire, fête, symphonie, bravo, bijoux, frénésie (14 pieds)
    • Mot de 2 syllabes + Mot de 2 syllabes + Mot de 3 syllabes /// Mot de 2 syllabes + Mot de 2 syllabes + Mot de 3 syllabes

Si cet équilibre n’était pas respecté, je peux vous assurer que la sonorité en serait affectée et la chanson bien moins jolie. Vous pariez ? Vérifiez par vous-même (sans tenir compte du sens) :

  • Amours impossibles, bravo, bijoux, frénésie
  • Gloire, fête, symphonie,  défaites, ironie

Alors ? Sur ce, je vous laisse compter vos vers et mesurer vos pieds afin d’en trouver la juste pointure (ou plutôt compter vos pieds et mesurer vos vers) et je remercie mon preux chevalier de beau-frère de m’avoir inspiré cet article !

4 réflexions sur “Rythmer un texte (3ème partie)”

  1. L’académisme a également (hélas !) forgé bon nombre de mentalités sans aucun génie qui, avides de pouvoir et de reconnaissance, ont très souvent investi le milieu bien pensant et posé les bases d’un enseignement sans âme et très sclérosé côté instinct et liberté d’inspiration.

    Néanmoins, il est vrai que pour progresser dans notre sphère de conscience, il est presque obligatoire, pour la plupart d’entre nous, d’apprendre, de travailler beaucoup et de respecter certaines règles éprouvées par les plus anciens « savants » d’entre nous. Le tout étant quand même de trouver les bons enseignants qui sauront faire émerger de « l’élève » l’intrinsèque substance de son talent (s’il en a évidemment 🙂 ).

    Pour résumer et aller dans ton sens boumic21, travailler et apprendre avec règle et méthode pour, à un moment, tout laisser de côté afin de retrouver la connexion à notre âme immuable et inspirée. Vaste programme ! 🙂

    « Quand le débutant est conscient de ses besoins, il finit par être plus intelligent que le sage distrait. » Lao-Tseu 🙂

  2. Faire du beau à l’instinct, n’est-ce pas cela le talent ?
    Lequel n’empêche pas le travail, la méthode et le respect de certaines règles, quand elles sont dictées au bénéfice de l’art qu’elles veulent servir et non pour le contraindre.
    L’académisme a forgé des talents qui sont devenus des génies quand ils ont envoyé au diable les règles de l’académisme !

  3. Cher Philou,
    Merci pour ce commentaire auquel je vais essayer de répondre 🙂

    En fait, pour changer, je suis d’accord et pas d’accord en même temps. Je comprends l’idée et te remercie de l’avoir émise, mais je ne crois pas que l’on bride la liberté en essayant de comprendre ce qui a marché pour les artistes avant nous. Ce n’est pas parce qu’on s’y intéresse qu’on est obligés de s’y cantonner.

    Mon beau-frère, preux chevalier et bien plus encore, m’a fait il y a peu un compliment sur une chanson que j’ai écrite. Il m’a écrit : « Je suis toujours en train de criser en entendant les musiques actuelles, à buter sur les pieds absents, les rimes foireuses, et là c’est… fluide, harmonieux, y a pas un seul mot à moitié mâché pour que « ça rentre dans la case », pas une seule syllabe tirée à l’infini pour boucher une fin de couplet (…) ».
    La chanson dont il parle, je l’ai écrite à l’instinct, sans compter, mesurer ni rafistoler. Mais, après son compliment qui m’a -soit dit en passant- beaucoup touchée, j’ai décidé d’analyser pourquoi ce texte sonne bien sur cette musique et décidé de faire cet article.

    L’objectif n’est surtout pas de brider l’inspiration, ni d’empêcher les gens d’écrire comme ils ont envie d’écrire. D’ailleurs, quand un artiste inspiré décide de s’aventurer sur des terres en friche et d’explorer d’autres territoires, personne ne peut l’en empêcher en lui disant « C’est pas très pop, ton histoire là… ».
    De même il y a des âmes sensibles qui comprennent tout cela sans naturellement, sans même s’en rendre compte et sans mettre des mots dessus.

    Ces artistes là ne me demandent pas de conseil et je n’aurais pas envie (ni la prétention) de leur en donner. J’espère d’ailleurs que tu comprends qu’il n’y a aucune suffisance dans mes propos. Je ne suis pas en train de dire « regarder comment il faut faire ». Si j’aime bien les textes que j’écris et m’éclate à chanter mes chansonnettes, c’est vraiment, sincèrement, en toute simplicité et en toute humilité. N’empêche que, si tu savais le nombre de fois où on m’a demandé des conseils du genre : « Tu écris le texte ou la musique en premier ? », « comment tu fais pour écrire ? », « Mes textes ne sont pas chantables, comment je peux faire ? », …

    Par ce blog, nous essayons, Une Plume et moi, de partager des pistes, des axes de réflexion et des astuces avec des gens qui cherchent, qui essaient, qui tâtonnent. Nous ne donnons pas des règles à suivre ou des recettes de potions magiques. On ne détient pas la vérité, on ne sait pas ce qui marchera pour d’autres et on n’a surtout pas la prétention de vouloir remplacer l’inspiration par des trucs et astuces. Je ne sais même pas si les conseils que je donne sont très « académiques ». Mais si ça peut permettre à un lecteur d’arriver à écrire sa première chanson, ça me met en joie.

    Pour revenir à ton commentaire, j’ai sans doute beaucoup à apprendre encore en matière de liberté, mais je ne pense pas que l’apprentissage soit un enfermement. Il y a plusieurs sortes d’apprentissage et sans doute l’apprentissage par l’expérience (plutôt que par la théorie) permet d’accéder plus vite à des choix instinctifs. Si tu regardes bien, c’est ce que nous proposons, « l’apprentissage par l’expérience ». Nous proposons toujours à nos lecteurs d’essayer ceci ou celà. Nous n’avons d’ailleurs pas souvent de retours d’expériences de nos lecteurs (Se sentent-ils libres d’expérimenter ?), ce qui ne nous empêche pas de continuer à écrire des articles, en espérant qu’ils seront lu non pas comme des vérités qu’on essaierait d’asséner mais comme des invitations à l’expérience, à l’échange et au partage !

  4. C’est effectivement une façon de procéder selon une technique bien définie et acceptée par la majorité des « experts » en ce qui est « vrai ».
    Cela dit (sans aucun jugement puisque je me considère comme un produit de ce type de personne ayant un comportement mental réagissant de la sorte et finalement assez bien conditionné pour reproduire les schémas acceptés majoritairement……), n’existerait-t-il pas une autre façon de procéder ?
    Et si on laissait, dans ce domaine, simplement faire ce qui doit se faire, sans essayer d’influer sur un résultat qui nous semble, à nous, petits esprits (j’aurais envie de dire « esprits occidentaux » mais….) très limités (je trouve !) par l’apprentissage, le poids des siècles, le dogme de la théorie exacerbée et la fidélité à ce qui a déjà été reconnu comme « politiquement correct » et qui nous empêche d’innover à cause justement de cette fameuse fidélité à ce qui a été reconnu comme vrai, avant nous, comme base immuable et indétrônable de connaissance.
    Je me pose, évidemment, un peu là en trublion, en empêcheur de tourner en rond et en personnage extrapolant un peu sur les sujets forts intéressants de ce blog. 😀
    Mais c’est une question que je me pose depuis longtemps. La culture et l’apprentissage sont de formidables outils de connaissances et de développement mais ne sont-ils pas, très (trop) souvent, les fers qui nous enchaînent à notre propre manque accepté de liberté ? Comme une façon d’être fidèle à la mémoire des valeurs passées qui voilerait notre véritable tendance à créer et à inventer de nouveaux paradigmes qui, une fois acceptés devraient laisser la place à d’autres, issus d’une compréhension plus affûtée et surtout plus « inspirée »…….

    Tant qu’à vous embêter ( 🙂 ) voici deux citations qui me parlent énormément :

    « Une pensée contient toujours deux sortes de choses, celles qui y sont venues par inspiration, et celles qui y sont venues par alluvion. » Victor Hugo

    « L’inspiration chante toujours. L’inspiration n’explique jamais. » Khalil Gibran

    Ce qui ne vous empêche pas de compter vos vers et de mesurer vos pieds afin d’en trouver la juste pointure. Néanmoins, certains d’entre nous se déplacent nu-pieds et n’ont pas l’air de s’en porter plus mal….. Certains preux chevaliers ont également du « abandonner » beaucoup afin de trouver le fameux Saint Graal, objet de tant de quêtes inassouvies. Il est vrai que ces personnages étaient très inspirés. Ton beau-frère (je précise que j’avance ceci sans aucune moquerie) est certainement un de ceux-là. 😉

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